Les réactions aux interventions épiscopales dans le débat sur la future loi concernant l’immigration sont plutôt contrastées. Nous avons reçu ici-même l’expression d’un désaccord certain avec le soutien que nous apportions à la défense des droits des migrants et aux initiatives des évêques auprès des pouvoirs publics en ce sens. Comment en serions-nous surpris alors que la question est d’une complexité redoutable et provoque des controverses passionnées ? les catholiques ont des sensibilités diverses dans l’ordre des choix politiques et l’appréciation des évolutions économiques et sociales. Il serait vain, et souvent pernicieux, de vouloir réduire à une unité arbitraire ce qui correspond à l’infinie complication de notre monde aux intérêts bigarrés
et parfois contradictoires. Cela ne veut pas dire, pour autant, que de la diversité ne doit pas surgir un accord profond sur l’essentiel, d’autant que c’est la charité qui doit prévaloir en ultime ressort, si toutefois on se veut fidèle à l’Evangile.
La diversité catholique ne date pas d’aujourd’hui. On pourrait même prétendre qu’elle fut plus forte dans un passé qui s’estompe, mais n’est pas si lointain. Les luttes du dix-neuvième siècle et du vingtième ont parfois pris l’allure de guerres civiles, avec des coups qui s’égaraient, des oppositions féroces, des analyses du devenir historique qui étaient aux antipodes.
Le pontificat de Jean-Paul II a correspondu à une mutation profonde des équilibres mondiaux et une redéfinition des positions chrétiennes correspondant à un autre univers. Beaucoup de discussions acharnées d’hier sont devenues obsolètes, les enjeux s’étant reformulés dans des formes inédites. Cela nous contraint à regarder l’histoire avec d’autres yeux, en discernant une intelligibilité qui échappait à nos prédécesseurs, trop engagés dans l’immédiat pour saisir des coordonnées pourtant structurantes. La réédition de l’ouvrage essentiel d’Emile Poulat Eglise contre Bourgeoisie (Berg International) devrait aider à cette nécessaire mise en perspective qui permet de décoller de nos erreurs immédiates et de nos constructions arbitraires.
Quand les participants des assises libérales de Davos ou altermondialistes de Porto Allegre opposent leurs analyses sur le devenir des échanges économiques, les effets de domination et les gains inégaux de la mondialisation, ils suscitent de la part des chrétiens connivences et oppositions frontales, redéfinissant des sensibilités très prégnantes dans le catholicisme et les autres confessions chrétiennes. Cela ne veut pas dire que la fracture intellectuelle qui se creuse aboutit forcément à l’éclatement. Des références spirituelles, anthropologiques créent une complicité qui finit par s’affirmer plus déterminante, parce que plus orientée par les fins que par les moyens, par le souci de développement profond plutôt que par l’efficacité immédiate. On peut disputer de la régulation des flux d’immigration, en s’opposant sur les moyens. On doit, forcément, se retrouver entre chrétiens, pour le service du pauvre, qui est au-delà de toutes les contingences, si du moins nous croyons au même Evangile.
Gérard LECLERC
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- La République laïque et la prévention de l’enrôlement des jeunes par l’État islamique - sommes-nous démunis ? Plaidoyer pour une laïcité distincte
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.
- Édouard de Castelnau