Le scandale du procès de l’affaire d’Outreau a été suffisamment dénoncé ici et là pour qu’on insiste sur le dérapage inadmissible de l’institution judiciaire. Tout au plus le temps est-il venu de s’interroger sur l’omniprésence de la Justice dans le fonctionnement des sociétés modernes et la confiance démesurée mise dans une institution forcément faillible. Un philosophe politique aussi avisé que Pierre Manent ne nous a-t-il pas rappelé opportunément que Montesquieu, théoricien de la séparation des pouvoirs et donc particulièrement attentif à l’autonomie du pouvoir des juges, n’en affirmait pas moins que “la puissance de juger est terrible”. Et Manent de commenter : “La différence de perception entre lui et nous est frappante : le pouvoir qui nous semble le plus inoffensif, en vérité le plus salutaire, est celui qui, aux yeux de Montesquieu, est intrinsèquement le plus redoutable, même s’il admettrait sans doute qu’il est nécessaire, partant salutaire.” (1)
Les innocents d’Outreau témoignent douloureusement de ce caractère terrible d’une justice qui peut écraser les personnes sous le poids de sa force symbolique à l’enseigne du juste du bien, alors même qu’elle bafoue la vérité et les droits les plus élémentaires. A cela s’ajoute la malfaisance foncière d’un système carcéral, pourtant unanimement dénoncé par les autorités morales de ce pays. Bien sûr, il ne s’agit pas d’accabler les juges, en les rendant tous responsables des errements d’un certain nombre d’entre eux. Les excuses publiques de l’Etat, celles des magistrats, sont garantes d’un réexamen des conditions de l’enquête judiciaire. Il semble aussi que le milieu des experts et des psychologues est désormais mieux averti de la complexité de la parole des enfants en matière de pédophilie.
Nous ne saurions oublier l’épreuve subie par l’abbé Dominique Weil, que sa vocation de prêtre ouvrier, présent dans un secteur social fragile, exposait à des accusations injustifiées mais si faciles dans le climat actuel. L’abbé a pu résister à des avanies qui en ont détruit d’autres (et même provoqué la mort d’un de ses coaccusés) grâce à la solidarité affectueuse et sans failles de sa famille ainsi que d’une espérance enracinée dans sa fidélité au Christ, ressourcée dans la méditation de la Bible. Il nous faudra réfléchir encore longtemps à la situation d’un prêtre qui, dans ses interventions, s’est naturellement reconnu dans le personnage de Job confondu par ses accusateurs et par la misère extrême de son sort. Dominique Weil ne fut d’ailleurs pas le seul à s’appuyer sur le ressort de la foi parmi les réprouvés d’Outreau. Il nous est précieux que des chrétiens aient surmonté pareille injustice en sachant, malgré les blessures qui saignent encore, exorciser tout ressentiment pour ne jamais perdre le sens indispensable de l’équité.
Gérard LECLERC