Depuis la mort de Jean-Paul II et l’avènement de Benoît XVI, les foules n’ont cessé de converger vers Rome. J’en étais témoin, l’autre semaine, sur une place Saint-Pierre comble, lors de l’angélus du dimanche. Les événements vécus pendant ces semaines inoubliables ont profondément marqué l’opinion, qui a discerné beaucoup mieux que certains le croyaient le sens véritable de l’exercice de la primauté de Pierre. Mais c’est aussi le monde intellectuel qui réfléchit à la transmission des héritages dont la scène romaine est la médiatrice privilégiée. C’est à l’invitation de notre ambassadeur auprès du Saint-Siège, Pierre Morel, que je m’étais rendu dans la ville éternelle pour participer à un colloque sur ce thème. Le Saint-Siège y était largement représenté (puisqu’il était partie prenante par l’intermédiaire du secrétariat à la culture) avec les cardinaux Poupard, Tauran, Silvestrini, Cotier et d’autres responsables des dicastères romains.
Dans un climat de crise, consécutif aux incertitudes de l’Europe, il était nécessaire de prendre du recul pour mieux percevoir la signification d’une unité de nos pays. On sait que la mention explicite de l’origine judéo-chrétienne du continent a fait problème. Certains ont opposé le risque d’une division, voire d’une exclusion pour ceux, qui, nouveaux venus, ne pouvaient se reconnaître dans la continuité de l’histoire. Mais, dans une telle hypothèse, il n’y a plus d’identité européenne puisque le passé du continent se trouve mis entre parenthèses. Et la construction politique perd en valeur symbolique. C’est pourquoi le colloque s’est employé à un travail d’investigation qui permettait de ne rien ignorer des difficultés tout en revendiquant l’héritage intégral à transmettre et à partager.
Dans ces conditions on ne saurait s’étonner que les participants se soient sans cesse référés au débat mémorable entre le cardinal Ratzinger et le philosophe Jürgen Habermas, le représentant de la tradition chrétienne et celui des Lumières. Deux courants qui, incontestablement, ont marqué notre culture commune et se sont parfois affrontés durement. Cet exemple montre à l’évidence qu’il y a tout avantage à se parler ouvertement, sans rien abdiquer des convictions des uns et des autres. Les laïques qui craignent une sorte d’impérialisme des chrétiens ont-ils observé que le concile Vatican II en promulguant un texte aussi important que Dignitatis Humanae avait en quelque sorte éclairci le débat. Pierre Morel avait illustré cette donnée en proposant au colloque de réfléchir sur cette formule : La liberté religieuse est « la religion de l’Europe ».
Ceux qui ont marqué des réserves, et parfois plus, à l’égard de Dignitatis Humanae, par crainte d’un relativisme proche du scepticisme devraient prendre garde que c’est plutôt le contraire qui est vrai. En effet, ce que l’Eglise catholique a pu perdre en pouvoir, remarquait Emile Poulat, elle l’a regagné en autorité spirituelle et en indépendance. Jean-Luc Marion, de son côté, établissait que la liberté religieuse était la condition d’expression de la conscience individuelle face à toute emprise extérieure et par rapport à elle-même dans l’absolu de la démarche de foi. L’Europe ainsi peut mieux comprendre la dynamique de son héritage pour mieux rebondir au-delà de toutes les crises.
Gérard LECLERC
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- L'itinéraire intellectuel de Gérard Leclerc