En prenant possession de Saint Jean-de-Latran, la cathédrale de son diocèse de Rome, Benoît XVI a prononcé une très importante homélie sur le sens du ministère de Pierre. On devra se référer à ce document, comme à une sorte de charte du pontificat. En effet, le pape y rappelle les caractères fondamentaux de la mission des successeurs de l’apôtre. Tout pourrait se résumer dans l’adresse de Paul aux Corinthiens : Bien qu’il y ait, soit au ciel, soit sur la terre, de prétendus dieux, […] pour nous en tout cas, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père […] et un seul Seigneur Jésus-Christ par qui viennent toutes choses et par qui nous allons. Jésus-Christ, hier, aujourd’hui et toujours, telle est la norme dont le successeur de Pierre est le témoin et pour laquelle il a mission de confirmer ses frères. Ce rappel consacre la hiérarchie des charismes dans l’Eglise. En effet, tous les chrétiens sont appelés à proclamer la Seigneurie du Christ, mais ils sont garantis dans leur foi par la succession apostolique.
Il s’agit bien d’une autorité, mais au sens précis de l’Evangile (qui parle d’exousia). C’est le contraire absolu de l’arbitraire, encore moins du pouvoir personnel : le ministère du pape est la garantie de l’obéissance au Christ et à sa Parole. Il ne doit pas proclamer ses propres idées, mais s’engager constamment, lui et l’Eglise, à l’obéissance à la Parole de Dieu, face à toutes les tentatives d’adaptation et de dilution, ou face à tout opportunisme. Cette obéissance confère d’ailleurs une souveraine liberté à celui qui n’a de compte à rendre qu’à Dieu. Même si cela est mal admis aujourd’hui, où règne la règle de l’opinion, la plus équivoque qui soit, parce que la plus manipulable et la plus conformiste, la liberté du successeur de Pierre est une garantie puissante pour la sauvegarde de la dignité des personnes. C’est pourquoi on n’est pas surpris que dans la même homélie Benoît XVI ait réitéré les affirmations de son prédécesseur Jean-Paul II sur l’inviolabilité de l’être humain de la conception jusqu’à la mort naturelle.
Au moment où le pape prononçait ces paroles fortes, ses frères de l’épiscopat espagnol intervenaient sur la scène publique de leur pays pour marquer leur désaccord formel avec la loi nouvellement votée à propos du mariage homosexuel et du droit d’adoption dans le cadre d’un couple du même sexe. C’est à une véritable désobéissance civique qu’appellent les évêques espagnols, et on peut supputer que leur initiative provoquera dans le pays de rudes controverses, avec des suites juridiques sans fin. En effet, de nombreux maires d’opposition ont annoncé qu’ils refuseraient d’appliquer cette nouvelle loi. Le gouvernement Zapatero a pris un risque sérieux de division du pays, dans un domaine des plus délicats en ne tenant aucun compte des droits à l’objection de conscience et à la nécessité d’un consensus profond lorsqu’il s’agit de décider dans une matière aussi grave. Le cas espagnol illustre le risque de la liberté évangélique, car la liberté de jugement qui correspond au charisme de Pierre et des apôtres peut conduire au désaccord formel avec le jugement du monde. Mais il n’y a pas de témoignage en faveur de la vérité sans risques. Benoît XVI en est le premier conscient.
Gérard LECLERC