2962-Dieu vulnérable - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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2962-Dieu vulnérable

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L’actualité de ces dernières semaines n’a cessé de nous confronter au mystère du mal. Pour les croyants, cette confrontation est le lieu même du face à face avec le Dieu de la foi et constitue l’épreuve par le feu. Gabriel Marcel – dont on vient opportunément de publier un florilège recouvrant l’expérience la plus originale du penseur. (1) – était d’avis que la déréliction met en cause toute théologique dite objective, c’est-à-dire tout système théologique qui ne s’ouvre pas à l’expérience existentielle du Dieu de la Révélation. “Le Dieu-chiquenaude, premier moteur et grand machiniste de l’univers devient presque fatalement un Dieu-objet… Un Dieu-objet qui nous traite en objets jusque dans notre for intérieur, où toute protestation attire sa vindicte”. Un Dieu-objet dans l’épreuve cruciale devient cause d’athéisme, poursuivait Gabriel Marcel qui, au demeurant, ne croyait pas aux ressources de la pure philosophie rationnelle pour dénouer une telle énigme.

L’expression du silence de Dieu a été souvent employée pour désigner la nudité totale des victimes de la Shoah. On a aussi invoqué cette notion de silence pour interdire à jamais toute expression religieuse sur les sites exterminateurs. Mais lors de la commémoration du soixantième anniversaire de la libération d’Auschwitz, les représentants des religions, juifs et chrétiens, ont été invités à prier à pleine voix à la face du monde. C’est ainsi que le cardinal Jean-Marie Lustiger a récité le psaume De profundis : “Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur, écoute mon appel”. C’est donc qu’il convient de contredire cette notion de silence avec une certaine acuité. Martin Buber parlait, avec beaucoup plus de discernement, d’éclipse de Dieu, et il n’est pas un seul croyant, a fortiori mystique, qui contestera à quel point Dieu peut se cacher, se dérober, au point que le passage à travers la nuit totale est la condition même de l’âme la plus fervente.

Le danger le plus menaçant serait de poser l’équation : silence de Dieu = mort de Dieu… comme ce fut la tentation de beaucoup. Les juifs pieux l’ont évidemment dénoncée, refusant que le nazisme puisse ainsi tuer la foi judaïque après avoir voulu exterminer le peuple de la Promesse. Parmi les témoignages les plus forts des survivants d’Auschwitz, on pourra retenir celui de cette femme affirmant qu’arrivant dans un lieu d’où avait été effacée toute trace de Dieu, c’est sa foi qui l’y avait réintroduit. Jamais, nous ne serons capables d’aller au terme, au cœur d’un abîme individuel, mais nous pouvons, au moins, comprendre quelque chose dont le vingtième siècle a voulu souvent nier la réalité : notre vulnérabilité. Notre volonté de toute puissance a trouvé son obstacle dans l’exemple de ceux pour qui elle justifiait toutes les transgressions. Mais notre vulnérabilité redécouverte, il fallait encore admettre la vulnérabilité de Dieu, présent dans les martyrs d’Auschwitz. “Où donc est Dieu ? se demandaient Elie Wiezel. Et de répondre : “Le voici – il est pendu ici à cette potence” – en désignant l’enfant pendu par les bourreaux.

Gérard LECLERC