Nous ne verrons donc, nous autres Français, le film de Mel Gibson que dans un mois, au moment où nous commémorerons très précisément la Pâque du Seigneur. Cette coïncidence (providentielle ?) nous est une invitation à exercer le discernement de la foi à l’égard d’un film, vision particulière d’un homme – chrétien au demeurant – qui ne saurait substituer son témoignage à celui des Ecritures et de la divine liturgie. Le cardinal Lustiger a fait sur ce point une intervention sur K.T.O. que nous aurions le plus grand intérêt à méditer longuement. Certes, il existe un patrimoine artistique impressionnant sur la représentation des Evangiles, et singulièrement de la Passion. Mel Gibson s’inscrit dans une longue et belle tradition qu’il évoque, nous dit-on, très précisément en reproduisant des scènes inspirées de très grands tableaux comme ceux du Caravage. Il ne nous paraît pas douteux que son intention, rejoignant celle de ses insignes prédécesseurs, ait consisté à vouloir traduire, avec des moyens de cinéaste, l’inexprimable.
Car nous ne voulons faire à Mel Gibson aucun mauvais procès. Nous tirons l’impression, d’après beaucoup de faits rapportés et d’opinions de spectateurs du film, que c’est l’homme de foi, et même l’humble croyant, qui a voulu exprimer son attachement et son amour au Sauveur.
L’accusation d’antisémitisme (que nous avions évoquée ici même, non sans quelque appréhension) semble se dissiper au fur et à mesure que des personnalités du judaïsme la démentent fermement. Mais, à ce sujet, c’est encore l’affirmation de notre confrère de La Croix, Michel Kubler, qui nous a paru la plus forte et la plus convaincante : “Au final, écrit-il, cette Passion se révèle peut-être, contre toute attente comme le premier film où la judaïté de Jésus est si bien soulignée : à plusieurs reprises, il répond par un psaume à ce qu’il doit subir, et Marie, apprenant l’arrestation de son fils, en cherche le sens avec les mots de la Haggadah, le rituel de la Pâque juive.” (vendredi 27 février). Il ne saurait y avoir d’argument plus puissant au service de ce film et de sa crédibilité.
Bien sûr, ce signe positif s’accompagne de réserves auxquelles nous sommes aussi sensibles. La violence très directe de beaucoup de scènes, l’insistance impitoyable sur la flagellation, la torture infligée jusqu’au bout, ne sont-elles pas de nature à rendre les spectateurs captifs d’une horreur qui ne leur laisse pas la liberté spirituelle nécessaire, celle qui fait prendre conscience de la vraie dimension sotériologique de la Pâque ? Le spectacle de la violence n’est pas en soi un moyen idéal de conversion. Ce qui compte dans la méditation de la Passion, c’est la relation intime qui s’établit, comme pour un Pascal, entre la conscience pécheresse et la traversée divine du mal et de la mort : “J’ai versé telle goutte de sang pour toi”. Nous ne pouvons dire, faute, d’avoir vu cette Passion, si Mel Gibson a préféré le dolorisme à une certaine simplicité évangélique. Mais nous n’avons pas de raison de lui reprocher, a priori, d’avoir oublié que la souffrance de Jésus, c’est d’abord l’Amour qui nous sauve.
Gérard LECLERC