Monsieur le directeur, si j’ose aujourd’hui vous adresser cette protestation, c’est en raison de la gravité du choix que votre éditorial en date du samedi 5 juin 2004 opère en faveur du “mariage homosexuel”. Il m’arrive souvent de ne pas approuver les opinions exprimées anonymement dans cette rubrique qui engage, sans aucun doute, votre autorité. Mais la liberté de jugement, qui m’est chère autant qu’à vous, m’invite à participer aux nécessaires échanges d’arguments sans manifester particulièrement d’indignation ou de protestation. Cette fois, l’affaire est trop sérieuse pour que je puisse me réfugier dans le silence, d’autant que le contenu de cet éditorial met en cause les principes et l’ordre symbolique qui trouvent dans la conscience ses plus profonds ressorts.
Permettez-moi sur ce point précis de m’étonner que vous puissiez rejeter, sans plus d’examen, l’héritage multiséculaire de la loi et du droit au profit des convenances particulières d’une catégorie qui ne se détermine qu’au moyen de sa seule orientation sexuelle. Ainsi peut-on faire bon marché en quelques lignes et quelques piètres pirouettes verbales de ce que les textes les plus vénérables de la civilisation ont inspiré depuis des millénaires et qui président à l’affirmation du lien social et à ce que Pierre Legendre appelle “la fabrication de l’individu”.
Peut-être m’opposerez-vous mes convictions chrétiennes et mes références à la loi biblique qui ne sauraient s’imposer à la législation d’un Etat laïque. Mais je vous en demande bien pardon, les principes qui résultent de la pensée judéo-chrétienne s’identifient au fondement le plus sérieux des droits et devoirs de l’humanité et ne sauraient être transgressés sous peine de produire l’anomie morale à partir de laquelle la démocratie se dissout et la recomposition totalitaire se profile. Il est scandaleux que votre rédacteur anonyme s’autorise des manipulations de la procréation médicalement assistée pour briser les règles de la filiation et renvoyer à l’anarchie des pulsions et des transactions technico-financières ce qui relève de l’amour institué dans l’esprit sacré de la Promesse et de l’Alliance.
Comment peut-on trancher si légèrement dans ce domaine déterminant pour l’équilibre des sociétés, en blessant les consciences et en ignorant les exigences de ce que le philosophe Cornélius Castoriadis, pourtant issu d’un courant non judéo-chrétien, appelait “l’institution de la société” qu’il voyait en grand danger de déstabilisation lorsque le désir purement individualiste s’engouffrait, contre toute loi, dans “sa folie monadique originaire”.
Veuillez croire, Monsieur le directeur, à l’expression de mes sentiments déférents et attristés.
Gérard LECLERC
Pour aller plus loin :
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