Au fur et à mesure que s’approche l’élection présidentielle aux Etats-Unis, le débat sur la spécificité américaine enflamme les Européens. La plupart des livres – nombreux en cette rentrée littéraire – qui concernent l’hyperpuissance mettent en évidence la religiosité d’un pays qui, depuis ses origines, n’a jamais cessé d’envisager la vie sociale en étroite imbrication avec la foi religieuse, et cela pourtant dans un régime de stricte séparation des domaines et dans un cadre pluraliste de coexistence confessionnelle. Les deux candidats à la Maison Blanche, le républicain et le démocrate, n’hésitent pas à
mettre en avant leurs convictions chré-tiennes, en soulignant combien leurs programmes sont en harmonie avec elles. C’est ainsi que Georges W. Bush et John Kerry ont répondu aux questions du Catholic Digest, sans craindre de se réclamer des valeurs qui touchent particulièrement un électorat catholique (représentant désormais le quart de la population américaine).
En France, les jugements à l’égard de ce phénomène sont le plus souvent réservés, sinon hostiles. Le simple rappel des origines chrétiennes de l’Europe est considéré par beaucoup comme une atteinte à la laïcité, et l’affirmation des appartenances religieuses dans le débat public dénoncé comme une menace de type fondamentaliste. Il est vrai, par ailleurs, qu’on s’interroge, à juste titre, sur les ambiguïtés d’une trop grande identification des idéaux religieux et politiques américains. N’y avait-il pas danger à sacraliser le rôle de la première puissance mondiale, au profit d’une religion civile qui abolirait la distance entre une politique forcément marquée par les intérêts et les tropismes hégémoniques et une transcendance qui relativise et juge au nom de normes supérieures ?
Par ailleurs, on ne saurait sous-estimer l’importance grandissante à l’intérieur des démocraties modernes des conflits de nature éthique et anthropologique, où le religieux et le politique sont forcément aux
prises, puisqu’ils échappent à toute neutralité philosophique. La montée en puissance de la droite religieuse aux Etats-Unis – qui correspond aussi à un renouveau religieux évangéliste – est liée à la prédominance des choix fondamentaux pour la Vie (mariage, avortement, euthanasie, dérives des biotechnologies…). Les Eglises, pas plus que les fidèles, ne peuvent demeurer dans le silence dès lors que les principes les plus
graves sont en cause. On s’en aperçoit, en ce moment précis, en Espagne où l’Eglise catholique se trouve en conflit avec certaines orientations du nouveau gouvernement socialiste et a décidé de promouvoir, jusque dans la rue, la vision chrétienne de la vie sociale, menacée par des projets en contradiction avec la vision biblique de l’union de
l’homme et de la femme. La laïcité européenne ne nous protège pas des débats où la conscience est sollicitée par la défense de la dignité humaine.
Gérard LECLERC