Le n’est pas du tout un événement anodin que la venue de l’Esprit sur les Apôtres à la Pentecôte. Certes, tous les témoins ne sont pas d’emblée conquis. Quelques-uns s’esclaffent bruyamment : « Ils sont pleins de vin doux ! ». De siècle en siècle, la méprise se reproduit. La dernière mode sociologique parle d’exculturation à propos d’un catholicisme qui ne serait plus dans le coup. Comme quoi on peut être aveugle face à ce qui est sur le point de changer la face de la Terre.
Les incrédules de Jérusalem avaient sans doute quelque excuse à ne pas saisir l’étonnante transformation qui se produisait au cœur de leur ville. N’était-ce pas un peu dérisoire, ces douze hommes qui parlaient cet étrange langage ? Quelle importance face à la solidité de l’empire construit par Rome et à l’éclat de la culture gréco-latine ? Longtemps les chrétiens seront considérés avec quelque commisération par les puissants et les savants, incapables de rien comprendre à la révélation réservée aux humbles et aux petits. On sait ce qu’il adviendra en quelques siècles et comment la culture elle-même sera « comprise » de l’intérieur.
C’est qu’il fallait prendre très au sérieux l’événement de la Pentecôte, avec le surgissement de l’Esprit qui donne force, sagesse, audace et permet l’envol de la mission. Comme l’écrit saint Irénée de Lyon, le Père agit par ses deux mains, le Verbe et la Sagesse. Il fallait donc la venue de la Sagesse pour que l’Eglise soit trinitairement constituée et s’engage dans l’histoire. Car on peut dire que la réalité mystique et l’incarnation historique vont de pair et qu’elles se manifestent clairement selon le récit des Actes.
La réception de l’Esprit par les Apôtres engendre sur le champ une transformation intérieure, qui est beaucoup plus que culturelle. La Bonne Nouvelle se fait entendre à tous ! Chacun reçoit le message en sa propre langue, et cette foule bigarrée où Luc discerne toutes les appartenances méditerranéennes parvient à une unité incompréhensible à qui n’accède pas à cette logique surprenante. Il apparaît dès le départ que l’Evangile est destiné à la Terre jusqu’à ses extrémités, mais qu’il vise chacun au sein de la totalité. Nul refus de la diversité culturelle dans le dessein de Dieu, mais dialogue qui touche chaque personne interpellée dans sa langue maternelle. De la confusion babelique résulte, par la médiation de l’Esprit, un concert universel, à l’opposé de toute entreprise totalitaire.
La Pentecôte se poursuit aujourd’hui où l’Eglise est devenue une Eglise-monde, un peu comme les historiens parlent d’une économie-monde. C’est une prodigieuse aventure qui suppose les risques de ce qu’on appelle inculturation et ne va pas sans drames, parfois reculs et reniements. Mais l’Esprit est là qui donne la grâce de tous les renouveaux.
Gérard LECLERC
Retour au site de [url=http://leclerc.gerard.free.fr/articles.php]Gérard Leclerc[/url]