Décidément, l’Ile de Beauté restera pour longtemps une énigme propice à tous les pièges. Le gouvernement français vient d’en faire encore la cruelle épreuve, avec l’échec d’un référendum où il avait pourtant l’appui des dirigeants socialistes et des formations nationalistes. Il est vrai que ce dernier élément contribuait à brouiller le jeu. Beaucoup d’électeurs ont suivi les chefs de file (de droite et de gauche) qui prônaient le non à la réforme préconisée par Nicolas Sarkozy, parce qu’ils ne voulaient pas se retrouver alliés aux indépendantistes. Ainsi se trouve sanctionné un projet dont l’initiateur n’était autre que Lionel Jospin, et qui avait déjà valu au Premier ministre socialiste l’éloignement de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur.
Sans doute le cas de la Corse est-il particulier pour la France. Les caprices de l’histoire, l’insularité, une certaine culture méditerranéenne, l’existence d’une minorité résolue à en découdre font de la patrie de Napoléon un objet tout à fait singulier. L’attachement de la grande majorité de la population à la France ne fait aucun doute, mais en même temps la mouvance indépendantiste est suffisamment enracinée pour que ne cesse de planer la menace de nouveaux drames, eux-mêmes initiateurs de nouvelles chaînes d’événements imprévisibles. On l’a bien vu avec l’assassinat du préfet Claude Erignac, et le procès de ses meurtriers. L’opprobre qui entoure le crime se trouve toujours en balance avec le soutien implicite ou explicite de ceux qui persistent à considérer les coupables comme des « patriotes ». De même l’arrestation d’Yvan Colonna, le principal suspect de cette tragédie, constitue, en même temps qu’un succès incontestable pour l’Etat de droit, un sujet de querelle pour ceux qui sont peu ou prou solidaires de l’homme qui a défié, quatre ans durant, la police et la justice française.
Mais, plus généralement, le problème corse met en évidence la difficulté pour une nation centralisée comme la nôtre de courir le risque d’une mutation contraire à la logique au moins bicentenaire de son histoire. Par un curieux paradoxe, c’est à un Corse, Bonaparte, qu’est revenue la tâche de fixer un appareil dont les régimes successifs ont reçu l’héritage et qui s’oppose aux tentatives décentralisatrices. Jean-Pierre Raffarin avait fait de la régionalisation son mot d’ordre. La crise de ces derniers mois a montré la résistance inflexible de couches profondes de la population à toute remise en cause d’un système républicain qui assure l’unité et la solidarité. C’est dire la difficulté du « libéralisme », sous ses différents modes, à imposer un réformisme dont la « modernité » se révèle assez impuissante à convertir les citoyens de ce pays.
Gérard LECLERC