Quand apparaît l’âme chez l’être humain ? Autrement-dit quand l’être humain est-il une personne ? La question est d’une portée pratique désormais considérable, car c’est à son stade précoce, avant l’implantation (ou nidation) de l’embryon dans l’utérus maternel, que l’homme est le plus vulnérable aux manipulations. S’il a été conçu naturellement, les méthodes « contagestives » (stérilet, pilule du lendemain) peuvent provoquer des avortements si déniés qu’elles sont souvent classées comme contraceptives. S’il a été conçu artificiellement, in vitro, à des fins reproductives ou d’expérimentation, il est plus encore menacé, couramment détruit et même disséqué vivant.
Saint Thomas d’Aquin pouvait envisager l’animation tardive de l’embryon, du fait de la méconnaissance de son temps en matière de biologie de la fécondation, et il est encore parfois invoqué par ceux qui tentent d’affirmer que l’interdit du meurtre ne vaut pas pour le « zygote ». Si l’Eglise affirme aujourd’hui, comme elle le faisait déjà du temps de saint Thomas d’Aquin – et d’ailleurs avec lui – le caractère respectable de toute vie humaine dès son commencement, elle n’a pas jusqu’à maintenant affirmé la présence de l’âme dès l’instant de la conception. Par prudence en l’absence de preuve scientifique. Une position qui pourrait progressivement évoluer à en juger par la convergence des interventions des médecins, théologiens, philosophes et juristes qui se sont succédé devant les 350 participants du Congrès. Benoît XVI a repris devant eux les écrits de son prédécesseur, et notamment les arguments de l’Evangile de la vie : « Même si la présence d’une âme spirituelle ne peut être constatée par aucun moyen expérimental, les conclusions de la science sur les embryons humains fournissent ‘une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition d’une vie humaine : comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ?’ » (art. 60). C’est bien cette dernière interrogation, qui cite l’instruction Donum vitae de 1987, qui a été longuement éclairée et confirmée par tous les intervenants. Il n’a aucunement été question de prétendre voir l’âme par la science, mais, a contrario, de constater que les dernières découvertes scientifiques sur les toutes premières cellules de l’être humain tendent à démonter les interprétations de la science qui entendaient plaider pour le caractère tardif de l’animation. Certes, avait rappelé le Pape, tout en encourageant explicitement ce travail de rapprochement entre la science, l’éthique, et le droit, on « réussira difficilement à déchiffrer complètement « le mystère de l’origine de la vie humaine et « l’homme restera toujours une énigme profonde et impénétrable ». Mais, ajoutait-il, plus on s’en approche, plus le mystère se révèle « fascinant » au point de nous placer « dans la situation de voir et même presque de toucher la main de Dieu ».
Et justement, plus on observe ce qui se passe dès le moment de la conception, plus on découvre le caractère unique, complet et indivisible de l’être humain à ce début. Le Congrès n’a pas éludé les arguments des promoteurs de l’animation différée, tout en notant que, souvent, leurs mobiles semblaient dictés par la volonté de légitimer des transgressions à l’interdit du meurtre réalisées avant l’implantation dans la paroi utérine. A ceux qui doutent d’une animation précoce en raison du nombre de fausses-couches spontanées à ce stade, les orateurs ont répondu par les énormes taux de mortalité infantile observés il y a quelques siècles : ces enfants morts prématurément n’étaient-ils pas des personnes humaines ?
La délicate question des jumeaux monozygotes a fait l’objet de plusieurs analyses : on observe qu’à partir de ce qui semble être un embryon initial de quelques jours, la gémellité apparaît par une forme d’essaimage cellulaire. Impossible de penser qu’une âme initialement unique se diviserait. C’est au moment de cette scission que pourrait s’opérer l’animation du second jumeau. Mais comment savoir si le fruit de certains bricolages cellulaires de laboratoire (chimères, produits hybrides) est humain ou pas ? La tâche ne sera pas facile mais essentielle, a-t-on souligné, pour éviter de nommer indument chose ce qui serait personne, et réciproquement.
Ce qui apparaissait en conclusion certain, c’est que toute forme de statut de l’embryon, plutôt que de permettre sa protection, risque de lui imposer un statut infrahumain, source de totalitarisme. Benoît XVI avait quant à lui éclairé les débats en méditant sur la Visitation. Quel Dieu reconnaît un fœtus de six mois tressaillant en sa mère ? Un tout jeune embryon : pleinement homme en sa plus simple expression.
Tugdual DERVILLE