Véronique Courjault est donc passée du déni à l’aveu, en deux étapes. Après avoir raconté aux enquêteurs un double infanticide de jumeaux (de 3,2 et 3,6 kg !), elle leur a livré une version plus terrible, mais aussi plus plausible : si on la croit, cette femme de 39 ans aurait donc attendu, mis au monde et étranglé successivement ses troisième, quatrième et cinquième enfants. Le tout à l’insu de son mari.
Premier meurtre en 1999 : le petit corps aurait été incinéré le jour même « dans un insert de la cheminée » de leur maison de Souvigny-de-Touraine. Ensuite c’est en septembre 2002, puis en décembre 2003, au domicile familial de Séoul : ces fois-là, les bébés auraient été aussitôt congelés.
« Rondouillette », Véronique Courjault a pu dissimuler jusqu’au bout ses grossesses sous ses vêtements amples. Bien sûr, le procureur a du mal à croire qu’elle ait pu tenir son mari à l’écart des drames. C’est l’épouse qui gérait les provisions familiales, et donc le congélateur transformé selon l’expression d’un enquêteur en « caveau de famille ».
Mais comment dissimuler grossesses et accouchements à celui dont on partage l’intimité ? D’autant que, victime d’une infection, la jeune femme a dû subir une ablation de l’utérus quelques semaines après son dernier meurtre.
Cependant c’est Jean-Louis Courjault qui a alerté les policiers lorsqu’il a découvert les deux corps lors d’un retour impromptu en Corée pour raison professionnelle en juillet dernier. Pas un instant, explique-t-il, il n’aurait imaginé que c’était ses enfants. Et les enquêteurs coréens témoignent qu’il a été coopératif lors du prélèvement d’ADN qui révéla sa paternité.
On rapporte qu’après avoir clamé ensemble leur innocence et dénoncé pendant l’été le « lynchage médiatique » qu’ils prétendaient subir en Corée, les époux Courjault se sont tombés dans les bras à l’aveu des
meurtres, la stupéfaction du mari n’enlevant apparemment rien à son amour pour sa femme.
Même si le dénouement défraie légitimement la chronique, l’affaire ayant tenu en haleine deux pays pendant deux mois et demi, il nous ramène à la triste réalité de la misère humaine. On s’interroge sur les motifs qui ont fait passer une mère aimante pour ses deux aînés (aujourd’hui âgés de 10 et 11 ans) en mère meurtrière.
Mais son avocat peut avancer que, si la jeune femme « n’a pas eu le courage » de détruire ou jeter les deux derniers corps, c’est « probablement parce qu’elle les aimait ». D’un de ces sentiments maternels déviants, marqué par un syndrome de « toute-puissance » (c’est le mot qu’elle utilise pour décrire la préméditation des meurtres pendant ses grossesses) ? Un « amour » étouffant au sens propre. Du côté du père, fermer les yeux sur des signes qui auraient alerté plus d’un, est également une dérive somme toute courante, même si elle ne conduit pas la plupart des hommes à pareille extrémité.
Nombre de femmes enceintes sont tiraillées par un sentiment d’ambivalence : désir et peur d’exprimer leur fécondité, accueil et rejet de la vie. Et de tout temps il y eut des mères infanticides. Bien entendu, ce triple meurtre exceptionnel semble révéler un profond désordre psychique de la malheureuse sur lequel son avocat entend d’ailleurs fonder sa défense. Mais faudrait-il épouser la consternation réflexe de certains journaux qui s’atterrent qu’elle n’ait pas avorté ?
La folie maternelle de Véronique Courjault, mise en examen pour assassinats avec préméditation, met en lumière les incohérences de notre société. Car des sociologues prétendent aujourd’hui distinguer le « désir de grossesse » du « désir d’enfant » pour légitimer l’avortement légal dans les cas où ces deux désirs ne coïncideraient pas. Et les médecins procréateurs proposent aux couples de congeler vivant leurs enfants à l’état d’embryons qui sont alors soumis au verdict du « projet parental ».
Ces pratiques ne cautionnent-elles pas la tentation d’une « toute-puissance parentale » ? La loi ne fait-elle pas peser sur les mères ou sur les parents le pouvoir exorbitant de sceller le sort de leurs enfants déjà conçus ? Beaucoup tombent dans ce piège. L’atroce drame à répétition qu’a vécu Véronique Courjault est rarissime, mais combien de femmes ou de couples subissent dans leur conscience les douloureuses conséquences des atteintes à la vie de leurs propres enfants !
Quant à notre extraordinaire capacité de dissimulation et de déni, elle ne date pas d’hier. « Suis-je le gardien de mon frère ? » rétorque l’auteur du premier fratricide. Ainsi en est-il de l’homme : capable de nier l’évidence en présence de l’évidence. Même répétitifs, les infanticides de Véronique Courjault ont pu être relégués dans une semi-conscience. D’autant qu’elle affirme les avoir commis seule et sans témoin, ce qui n’aurait pas été le cas si elle avait opté pour l’avortement.
Quand le roi David eut fait secrètement envoyer vers la mort au combat le mari de la femme qu’il convoitait, il fallut au prophète Nathan une parabole pour libérer par la vérité la conscience du meurtrier. Et David de se couvrir de cendre, saisi d’un sincère repentir. Ici c’est l’ADN qui a « parlé ». Puisse l’incarcération de Véronique Courjault – son mari, mis en examen, étant laissé en liberté sous contrôle judiciaire – ouvrir pour elle ce temps d’une vérité qui libère.
Tugdual DERVILLE