Au lendemain de la visite de Benoît XVI au Brésil, des polémiques sont nées de quelques propos du Pape sur l’évangélisation du continent sud-américain. Abondamment reprises en Europe*, elles ont l’intérêt de revenir sur les célèbres repentances de Jean-Paul II. Est-il vrai que son successeur aurait délibérément abandonné cette attitude spirituelle par rapport à ce qui résulte des faiblesses et des fautes passées d’une Eglise faite d’hommes faillibles et pécheurs ? Rien n’autorise une telle interprétation, Benoît XVI ne s’étant pas directement exprimé sur le sujet. Il est vrai qu’il a particulièrement insisté sur les grâces de l’évangélisation, en laissant de côté le dossier historique de la colonisation entreprise après la découverte de l’Amérique. Il est peut-être abusif d’en tirer des conclusions hâtives. Benoît XVI est trop averti du tragique de l’Histoire pour ignorer les aspects négatifs, dénoncés en son temps par un Las Casas. Doit-on s’en tenir pour autant à ce que Pierre Chaunu considère comme une “légende noire”, unilatérale, qui ignore les données fondamentales de la question ?
Il est vrai aussi qu’en France, il y a une réaction assez vive à ce qu’on appelle l’autoflagellation et qui aboutit à une dépréciation de soi dans un interminable règlement de comptes avec un passé sur lequel on rejette ses frustrations actuelles. La querelle des mémoires, qui a été dénoncée par nos meilleurs historiens, peut avoir des effets débilitants par la course à la victimisation qu’elle entraîne et une sorte de déni de la réalité. Cette réalité impose que l’on se libère de ses névroses pour s’atteler aux tâches concrètes du vivre ensemble.
Sans doute la situation de l’Amérique latine requiert-elle une attention toute particulière aux détresses de ses populations diverses. Mais il faut souhaiter qu’une meilleure connaissance de l’héritage des civilisations anciennes tourne plus à l’avantage d’une libération des esprits qu’à des ressentiments masochistes. C’est toute l’histoire du monde qui est violence depuis toujours et, partout, les conquêtes ont succédé aux conquêtes. Nous sommes nous-mêmes issus de la conquête romaine. Le génie du christianisme consiste à guérir aussi les plaies de la mémoire pour ouvrir l’avenir. Le projet d’une justice universelle rendue à tous les peuples est d’ailleurs spécifique de notre universalisme biblique. Les tâches présentes de l’évangélisation de l’Amérique latine sont donc trop graves pour qu’on s’enlise dans les batailles de la mémoire. Si anamnèse douloureuse il doit y avoir quand même, il faut qu’elle serve les intérêts supérieurs des peuples, en sauvegardant leurs légitimes identités dans la plus large solidarité commune.
Gérard LECLERC
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- 3132-La visite du Pape en France (synthèse)
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI