Pourquoi êtes-vous allés à Périgueux ?
Caroline Roux : Notre expérience est qu’il faut être présents sur le lieu du débat si nous voulons participer, réagir de façon appropriée, sans nous laisser conditionner – je dirais même embobiner – par sa traduction médiatique.
Xavier Mirabel : Nous avions tenté, avec douze personnalités d’obtenir le report de ce procès, car il était visiblement prétexte à une orchestration médiatique. Il nous fallait en rendre compte en vérité. Essayer de la déjouer.
Alors justement, comment ce procès s’est-il passé ?
Caroline Roux : L’atmosphère m’a paru assez étrange. Finalement assez feutrée, avec cependant l’omniprésence de militants de diverses associations pour l’euthanasie. Nous nous trouvions face à des personnes âgées portant un autocollant de l’ADMD [Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité] qui avait visiblement organisé un déplacement en nombre.
La presse était à l’affût des déclarations des figures emblématiques du débat que sont Marie Humbert, le docteur Chaussoy, et les différents leaders de l’association “Faut qu’on s’active”. J’ai réussi à entrer dans la salle d’audience pour assister au début du procès et la justice m’a paru fonctionner de façon sereine.
J’ai été touchée de découvrir que ces deux femmes n’étaient pas des militantes de l’euthanasie, mais qu’elles s’étaient laissées entraîner par une succession de dérives aboutissant au dérapage fatal. De ce côté-là, le travail des magistrats fut ajusté. Les “accusées” ont été interrogées avec douceur et pertinence. Ce qu’elles ont révélé ne plaide pas pour l’euthanasie.
Nous avons découvert qu’il s’était instauré un grand silence entre les deux femmes, que l’infirmière avait d’abord été stupéfaite de la prescription, que le médecin avait des relations confuses avec sa patiente, à qui elle était liée familialement, que les soignants de Saint-Astier avaient déjà relevé que le dr Tramois avait des problèmes personnels avec la fin de vie… Une psychologue est venue expliquer à la barre que, si les deux femmes étaient, selon l’expression consacrée “saines d’esprit”, le médecin avait développé quelque chose de l’ordre de la toute-puissance. L’expert a d’ailleurs formulé le souhait qu’on protège davantage les soignants de ce type de tentations…
Xavier Mirabel : C’est ce qui m’a le plus frappé dans ces débats. Comme l’a relevé le professeur Olivier Jonquet, c’était surtout le procès d’un exercice solitaire de la médecine, aboutissant à la piqûre létale alors que tant d’autres façons d’accompagner une patiente proche de la mort auraient été possibles et nécessaires.
En tant que cancérologue, je n’ai pas pu m’empêcher de relever l’absence de formation poussée de ce médecin, méconnaissant largement les soins palliatifs. Sans doute était-elle sincère, même si j’ai trouvé qu’elle abusait de formules propres à amplifier l’émotion, comme si rien d’autre n’avait été possible pour Paulette Druais.
Je dois dire également que c’est le système hospitalier, du moins dans cet établissement, qui a montré ses défaillances : l’infirmière de nuit était seule avec 200 malades ! Comment, dans ces conditions, donner un minimum de temps à chacun ?
Vu du côté médiatique, on a senti une solidarité unanime autour des accusées…
Xavier Mirabel : Cette solidarité a paru obligatoire au moment où les deux femmes se retrouvaient sur les bancs de la Cour d’assises, l’une et l’autre affirmant, d’ailleurs avec un certain cran, assumer chacune leur part de responsabilité, le médecin tentant de dédouaner l’infirmière.
Mais j’ai ressenti un véritable malaise en entendant le flot d’émotion qui a comme noyé ces débats. Alors que le mari de Paulette Druais avait été heurté d’apprendre, parce qu’elle avait été dénoncée, que le médecin avait fait administrer la mort à sa femme, il est venu à la barre remercier chaleureusement le docteur Tramois pour cet acte. Son fils l’a fait à son tour dans les larmes. On a entendu les soignants de Saint-Astier s’excuser d’avoir soulevé cette affaire….
Dans la presse, le consensus est devenu un ordre moral. Dans les murmures du public, essentiellement composé de militants pro-euthanasie, la cause était entendue : les bons étaient ceux qui approuvaient le geste, finalement revendiqué comme “un geste d’amour”. Tous ceux qui se permettaient d’émettre des doutes étaient de méchants hypocrites.
Caroline Roux : Ce fut le cas lorsque le représentant de l’Ordre des médecins rappela le principe déontologique de l’interdit du meurtre. J’ai bien senti que c’était difficile à entendre pour certains. Et la façon dont la presse a rapporté sa courageuse déclaration, l’a fait passer pour un dogmatique inhumain.
Avant de passer aux médias, que dites-vous du verdict ?
Xavier Mirabel : Il nous a plutôt soulagés. Que l’infirmière ait été acquittée, même s’il est du devoir d’un soignant de refuser un ordre qui porte atteinte à la vie, c’est compréhensible. Chantal Chanel n’était pas en mesure de résister dans le contexte de fragilité professionnelle qui était le sien. Elle semble par ailleurs être une infirmière consciencieuse. Il aurait été injuste, voire dangereux, d’en faire une victime. Car cela n’aurait servi à rien d’en rajouter à la véritable épreuve d’un passage en Cour d’assises, où inévitablement on décortique toute votre vie depuis son commencement.
Quant à la peine symbolique d’un an de prison avec sursis pour le médecin, elle me paraît justifiable en cette circonstance. Au plan pénal, cette sanction ne nie pas la faute et c’est essentiel. Elle évite de faire de Laurence Tramois une victime emblématique. Le docteur Tramois ne fera pas appel, ce qui nous évitera une deuxième mascarade juridico-médiatique qui aurait été une nouvelle occasion trop facile de propagande en faveur de l’euthanasie. Ce procès étant aussi un procès politique, comme l’ont annoncé les avocats, les jurés ont sans doute évité le pire.
Caroline Roux : Je précise que cette peine a été doublement allégée puisqu’elle ne figure pas sur le casier judiciaire du docteur Tramois, ce qui est exceptionnel et lui permet de continuer d’exercer son métier.
Sur le plan médiatique, l’euthanasie semble pourtant avoir fait un grand pas ?
Xavier Mirabel : Oui. A quelques jours de son ouverture, deux journaux publient une liste de 2134 soignants qui prétendent avoir “aidé à mourir” leurs patients. Cette formule insidieuse efface le mot euthanasie en le connotant d’un vernis charitable. La technique de l’aveu collectif a été utilisée au moment du procès de Bobigny, quand 343 femmes qui s’autoproclamaient “salopes” avaient prétendu – certaines de façon mensongère – avoir avorté clandestinement. Cet aveu des personnalités de l’ultra-féminisme avait, à l’époque, accéléré la dépénalisation de l’avortement. Le nouveau manifeste est la copie de celui de 1973, cette fois pour la fin de vie.
Mais d’une façon plus pernicieuse, puisqu’il émane de soignants, qui, à moins de souffrir d’une grave incompétence, savent que l’euthanasie est la solution de facilité qui permet de ne pas se poser la question d’un autre accompagnement.
Caroline Roux : Un tel appel retentit dans les consciences de nos contemporains. Après la mort de Vincent Humbert, des personnes handicapées se sont demandé si la société les jugeait encore dignes de vivre. Des mères ont demandé si elles étaient fautives de ne pas tuer leur enfant gravement dépendant.
Et nous avons reçu des témoignages de médecins qui, dès le lendemain de la publication du manifeste des soignants pro-euthanasie, se sont vus demander par leurs malades de leur administrer la mort.
L’opinion y est favorable…
Xavier Mirabel : De plus en plus, puisque le débat a été orienté. Le Nouvel Observateur a encore préparé un sondage, publié le jour du verdict, annonçant que 87% des Français seraient favorables à l’euthanasie. Faut-il s’en étonner quand les véritables enjeux ne sont pas expliqués ? D’autant que ceux qui ont un autre discours sont systématiquement censurés.
Caroline Roux : Nous soutenons la pétition du professeur Jonquet “Non à l’euthanasie, oui à une médecine à visage humaine”.
Lancée au travers du site www.convergence-soins.com, elle a, dès le lendemain de la publication de la liste des soignants pro-euthanasie, recueilli, en moins de six jours, davantage de signatures. Et bien l’agence France Presse a refusé d’en faire état, tout comme la presse quotidienne.
Pourtant, une immense majorité de soignants demeure attachée à l’interdit du meurtre et se dévoue le mieux possible pour accompagner avec justice ceux qu’ils soignent.
Ce discours pouvait être entendu quelques jours avant le procès, il pourra l’être, espérons-nous, dans quelques jours, mais aujourd’hui, il a quelque chose d’insupportable, car il met en accusation des icônes compassionnelles incontestables du fait de la dictature de l’émotion.
Avec quelles armes résister à une telle dictature ?
Xavier Mirabel : La ténacité et la patience d’abord. L’émotion est fugace, elle entraîne les foules versatiles. Mais la vérité profonde finit souvent par resurgir, même si le mensonge a, entre temps, fait des dégâts. Mais il ne suffit pas d’attendre, il faut provoquer le réveil des consciences.
Caroline Roux : Il ne faut pas laisser le monopole de l’émotion et des faits divers à ceux qui les exploitent pour imposer une culture transgressive. Il ne faut pas non plus négliger les signes de vie qui sont toujours présents même dans les apparentes ténèbres.
Dans la liste des soignants qui ont signé contre l’euthanasie, nous avons relevé le témoignage d’un médecin qui dit l’avoir pratiquée… avant de découvrir que c’était par méconnaissance de ce qui était possible. Depuis qu’il est formé à ces enjeux, il s’est engagé contre la piqûre létale.
Les quotidiens dont nous pensions qu’ils contrebalanceraient les pro-euthanasie, nous ont déçus. Mais nous avons découvert que Le Parisien-Aujourd’hui en France avait publié une série d’articles, sous diverses signatures, qui ont rompu l’unanimisme. Samedi dernier, il a donné la parole à la femme de l’ancien footballeur international Jean-Pierre Adams, qui vit depuis 1982 à son domicile, dans un état qui semble comateux, à la suite d’un accident opératoire. Elle témoigne avec un amour incroyable de l’attention qu’elle porte à son mari, et récuse toute idée d’euthanasie. Cela n’enlève rien au mystère de la souffrance, mais cette fois, l’émotion penche du côté de l’amour et de la vie.
Une loi autorisant l’euthanasie n’est-elle pas inéluctable ?
Xavier Mirabel : J’espère que non. L’euthanasie bouleverserait notre système de santé, l’organisation de l’hôpital et la nature de la relation entre soignants et soignés. Nous héritons tout de même d’une longue tradition de qualité de la prise en charge des personnes souffrantes, encore améliorée par l’arrivée de la culture des soins palliatifs, et il n’est pas si facile de tout jeter à terre pour un autre système. C’est d’ailleurs pour cela que les politiques ont jusqu’ici résisté à la pression médiatique dopée par les sondages. Plusieurs personnalités de gauche ont contredit la promesse de Ségolène Royal d’accorder à Marie Humbert “sa” loi. Claude Evin, Jean-Marc Ayrault ont indiqué qu’il faudrait d’abord mettre en œuvre et évaluer la loi Léonetti.
Si Nicolas Sarkozy a semblé fragilisé, nous savons qu’il a inquiété son entourage et qu’il devrait prochainement être mieux informé par des praticiens de soins palliatifs et des réanimateurs sur la réalité de la situation.
La posture de François Bayrou, qui semble aussi, hostile à l’euthanasie, tout comme Philippe de Villiers et Jean-Marie Le Pen, mais aussi, Marie-Georges Buffet, montre que les politiques n’ont pas forcément comme orientation de céder à l’émotion. C’est à eux de gérer cette émotion, pour empêcher qu’elle aboutisse à un véritable casse-tête juridique.
Caroline Roux : L’enjeu dépasse la question de la loi. Nous sommes inquiets de recevoir des témoignages de soignants qui ont découvert des pratiques euthanasiques, passées sous silence, dans certains lieux de soins pourtant réputés. Nous sommes aussi inquiets de découvrir, même dans les milieux chrétiens, que la culture de l’euthanasie est en passe de s’imposer. Par méconnaissance. Mais aussi parce que l’idée de maîtrise de la mort se répand.
N’est-ce pas la question de la souffrance qui constitue le point de clivage culturel ?
Xavier Mirabel : Certainement. Il ne s’agit pas d’entretenir un dolorisme qu’il faut absolument rejeter, mais à l’inverse il y aurait une illusion à prétendre qu’on peut vivre sans souffrir. Face au scandale de la souffrance, nombreux sont ceux qui aujourd’hui semblent « prêts à tout » pour la faire cesser y compris à supprimer le souffrant.
La médecine a beaucoup progressé dans son efficacité à soulager la souffrance. Mais le développement des soins palliatifs ne fera pas disparaître la tentation euthanasique qui prospère, non pas sur les réussites des soins palliatifs, mais sur leurs échecs.
C’est à la souffrance de la dépendance, à l’orgueil qui amène à refuser de vieillir ; à l’aveuglement qui empêche de reconnaître qu’une vie plus fragile peut garder du sens… qu’il faut trouver des réponses. C’est bien un enjeu culturel !
Caroline Roux : Quand tout est fait, il reste que la condition humaine se heurte aux limites du corps, du temps et de la mort. Jean-Paul II demande aux parents d’enseigner à leurs enfants “le véritable sens de la souffrance et de la mort”. Ce message est généralement peu compris, alors que, sur le terrain, nous découvrons, que les épreuves de fin de vie, si elles sont vécues en relations avec les proches, sont source de rayonnement.
Il n’est pas indispensable d’être chrétien pour en faire l’expérience, même si c’est fréquemment une expérience spirituelle. Le lobby de l’euthanasie le nie, profondément marqué par un athéisme de toute puissance. C’est en cela que ces enjeux sont cruciaux car, l’homme se différencie d’abord par sa façon de vivre le mystère de la mort.
propos recueillis par Frédéric AIMARD
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