3066-Démagogie citoyenne - France Catholique
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La justice de Dieu
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3066-Démagogie citoyenne

Devant l’effacement du journalisme politique, la sacro-sainte image des candidats à la présidentielle s’avère plus déterminante encore qu’autrefois. Au détriment du vrai débat.
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Où sont passés les affiches électorales, leurs slogans incantatoires et leur savant décryptage sur la raison d’un village en arrière plan, le sens d’un clocher et le choix des couleurs ? Photographes et publicitaires peuvent aller se rhabiller. La règlementation du financement électoral a nettoyé nos murs des sourires calculés – et retouchés – des candidats « en 4 par 3 ». Le souci de l’environnement a fait le reste.

Mais celui de l’image n’a pas disparu. C’est le paysage audiovisuel qu’il a investi. Sur le petit écran, les douze candidats exhibent gratuitement leurs physiques (de gagneurs ?). Leurs visages et leurs corps y prennent vie, au risque de prendre le pas sur le fond du débat. D’autant que, là aussi, les règles semblent avoir changé, au profit de la vacuité.

Le travail des journalistes s’est effacé devant celui qu’on prétend donner au peuple. Les analystes politiques en sont réduits à cautionner les panels de citoyens recrutés en coulisse par les sondeurs, et à les animer sagement. Ils n’ont plus qu’à distribuer la parole avec empathie.

Les corps intermédiaires sont jugés élitistes. Ironie du sort, c’est le culte de l’audimat qui menace le journalisme politique. On parle de Marc-Olivier Fogiel pour arbitrer la soirée électorale sur M6 ! La profession n’avait pas attendu ce nouveau glissement vers le « people » pour entrer en crise : la multiplication des unions mixtes entre hommes d’Etat et femmes cathodiques a déjà fait tomber plusieurs têtes de présentatrices suspectées de confusion amoureuse. D’autres politologues ont pour ainsi dire « pantouflé » dans l’adhésion à un candidat. Jean-Marie Cavada l’avait fait ouvertement chez François Bayrou. Mais c’est maladroitement qu’Alain Duhamel s’est fait mettre hors jeu en envisageant publiquement de voter pour le même homme. Il faut dire que le dinosaure vedette de France 2 s’était déjà fragilisé en omettant d’envisager l’investiture de Ségolène Royal dans son livre opportuniste sur « Les prétendants ».

Inoxydable, Jean-Pierre Elkabbach, bien qu’il se voie reprocher son « sarkozysme » par l’UDF, fait donc figure de dernier des Mohicans, l’un des seuls à oser torturer encore un peu ses invités. Sur les plateaux de télévision, au nom de la proximité, le débat s’est noyé dans les face-à-face inégaux entre prétendants à la magistrature suprême et électeurs souverains. Débarrassés du mordant des professionnels, les candidats s’y retrouvent en position de force. On imagine mal Ségolène Royal répondre à un journaliste l’interrogeant sur la politique du handicap en le prenant par l’épaule, les yeux brillants de compassion. C’est ce qu’elle a fait dans son premier grand-oral télévisé en s’approchant de façon littéralement touchante d’une personne en fauteuil roulant qui l’interpellait. Et c’est cette image qu’on aura principalement retenue de sa prestation.

L’interrogatoire citoyen, c’est le grand oral de l’ENA arbitré par des collégiens : pain béni pour des politiques rompus aux exercices de diction, et coachés depuis belle lurette par les professionnels du débat. Les bleus qui sont censés leur tenir tête ne font par le poids. Lorsque deux hommes homosexuels tentent d’entraîner Nicolas Sarkozy sur le terrain de « leurs droits », il a beau jeu d’exploiter leur agressivité maladroite pour décocher sa riposte, imparable

La dialectique, qui consiste à utiliser l’autre comme faire-valoir (on parle de clown blanc) est une technique qui ne s’improvise pas. Elle n’est pas, en elle-même, contestable, pourvu que les bretteurs se mesurent à armes égales. Comparé à un « roquet » par Jacques Chirac, en 1986, Laurent Fabius pouvait répliquer, solennel : « Vous parlez au Premier ministre de la France ! » On attend toujours ces morceaux d’anthologie, ces duels à la loyale, au sommet, moments-clés qui permettaient de jauger les personnalités, mais surtout de juger – et comparer – leurs programmes.

La campagne “officielle” mettra-t-elle enfin les “grands” candidats sur le grill ? Pour le moment, affrontés à la piétaille, ils se sont jusqu’ici amusés comme des renards dans un poulailler. Et les vrais journalistes de ronger leur frein en constatant le carnage.

Tugdual DERVILLE