Quelques difficultés de traduction auront retardé la parution en France de Jésus de Nazareth, le livre du Pape, déjà disponible en Italie, en Allemagne et en Pologne. Les éditions Flammarion l’annoncent pour le 24 mai prochain, ce qui est une bonne nouvelle car l’élection présidentielle sera alors terminée et l’opinion française plus apte à être sensibilisée, par un débat d’une autre nature et digne, plus que tout autre, de provoquer réflexion et interrogations. En effet,
si nous parlons de débat c’est en vertu de l’intention explicite de Benoît XVI qui publie un livre personnel, soumis à la libre discussion de qui voudra manifester son sentiment ou ses objections. Il ne s’agit pas, de la part du successeur de Pierre, de préciser, avec son autorité apostolique, un point particulier de la Foi de l’Eglise. Son souhait est de susciter une interrogation en l’approfondissant et en l’éclairant avec toutes les ressources disponibles de l’investigation scientifique, à propos du mystère de Jésus. Qui est cet homme qui défie les limites de l’humanité tout en étant parfaitement homme, l’homme lui-même ?
Qui est ce personnage qui oblige à prendre parti, car nul n’échappe à la question qu’il pose au jugement le plus intime de chacun : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? »
De par sa formation universitaire et son itinéraire de théologien rompu aux controverses de l’exégèse moderne, Benoît XVI n’échappe en rien à la contextualisation scientifique de sa pensée. Loin de la récuser, il s’en réclame expressément, même si c’est, en définitive, pour la remettre en question. Ce en quoi d’ailleurs, il s’inscrit aussi dans une donnée de la discussion critique. C’est déjà Albert
Schweitzer qui observait comment toutes les reconstitutions de la figure de Jésus sur des bases soi-disant objectives, qui prétendaient s’émanciper de l’enseignement de la foi, n’étaient parvenues qu’à nous imposer des interprétations orientées par les choix philosophiques des uns et des autres. Un des grands paradoxes d’une certaine herméneutique consiste, en effet, dans la prétention des interprètes à mieux connaître Jésus que ceux qui nous ont confié le récit de sa vie et son message, alors qu’ils constituent la seule source possible de connaissance. La volonté de Benoît XVI est de revenir obstinément à la chose même, comme disait Husserl, c’est-à-dire aux évangiles dont la visée théologique, loin de nous éloigner de la réalité prosaïque de Jésus, nous en restitue l’authenticité et une dimension mystérique, étrangère à tout regard prétendument objectif : « J’ai voulu tenter de représenter le Jésus des Evangiles comme un Jésus réel, comme un Jésus historique au sens propre du terme. » Cette figure est infiniment plus sensée et cohérente que toute reconstruction qui prétend échapper à l’étonnant mystère de Jésus.
Gérard LECLERC