La France, en choisissant Nicolas Sarkozy comme successeur de Jacques Chirac, a clairement adhéré à un projet politique qui devrait s’incarner rapidement, avec la nomination d’un gouvernement et l’obtention d’une majorité parlementaire. Certes, une moitié du pays ne s’est pas reconnue dans ce projet. Mais c’est la règle du jeu et l’opposition frontale, qui s’est notamment manifestée dans l’ultime partie de la compétition, ne saurait faire oublier ce qu’il y avait de commun dans les aspirations des deux camps. Les deux champions ont voulu renouveler leurs familles politiques et préparer des changements pour rendre le pays plus apte à affronter le monde du XXIe siècle. Nous avons changé d’époque depuis la chute du mur de Berlin et l’émergence de nouvelles puissances comme la Chine, l’Inde, le Brésil nous impose de tout reconsidérer : notre stratégie économique, notre conception de l’Europe et nos rapports avec les Etats-Unis.
La seule idéologie du marché ne suffit pas à compenser nos carences de développement, et la construction européenne ne se pose plus exactement dans les termes posés par les Pères fondateurs. La fédération d’Etats-nations chère à Jacques Delors est aux prises avec les dimensions d’un continent d’un demi-milliard d’hommes et les contradictions d’un élargissement qui nous a éloignés de la petite Europe pilotée par le couple franco-allemand. Par ailleurs, la question cruciale de l’adhésion possible de la Turquie intervient comme une interrogation brutale sur l’identité de cette construction encore plus indéfinissable. L’idée lancée, tout à la fin de sa campagne, par Nicolas Sarkozy, d’un nouveau projet méditerranéen apparaît séduisante, même si elle est très problématique. Du moins nous oblige-t-elle à nous déterminer par rapport à nos plus grands défis : la coexistence équilibrée des peuples de la mare nostrum et le devenir d’un continent africain en plein désarroi. A répondre à de tels appels, l’Europe montrera sa capacité à formuler sa raison d’être. Sinon, nous risquons la cacophonie et la discorde.
Enfin, si le président Sarkozy et Madame Royal ont tous deux préconisé une exigence éthique supérieure, il n’est nullement évident que celle-ci ait trouvé son véritable éclairage et sa dimension anthropologique. L’étonnante querelle sur Mai 68, qui pourrait être très intéressante, n’a pas encore débouché sur les dérives insupportables qui mènent au suicide démographique de nos pays, à l’impérialisme d’un scientisme manipulateur et arrogant, aux pratiques eugénistes et euthanasiques… Si c’est la défaite de Mai 68 qui a été consacrée dimanche, il reste à démontrer que c’est en faveur d’un sursaut de la Vie et de l’essor de l’Esprit. Selon le vœu de Maurice Clavel, nous attendons toujours la véritable émergence d’un Renouveau.
Gérard LECLERC