L'abbé Pierre et l'Eglise - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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L’abbé Pierre et l’Eglise

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Comment contester que le respect et l’admiration qui ont accompagné ces jours derniers l’Abbé Pierre, au-delà de la mort, concernaient un homme d’Eglise et un prêtre de Jésus-Christ ?…

Impossible en effet, de détacher la personnalité du fondateur d’Emmaüs de ce qui fut le point d’ancrage de sa vie, une source permanente d’une prodigieuse énergie dont la foi, l’espérance et la charité ordonnaient le dynamisme. Il y eut toujours, chez lui, non seulement la nostalgie mais la mémoire vive de ses longues années chez les Capucins dans l’esprit de saint François d’Assise et dans l’ascèse de la contemplation. Beaucoup plus tard, au moment de sa retraite, son séjour chez les Bénédictins de Saint-Wandrille – où il avait pour compagnon le grand théologien Louis Bouyer – constituait un retour au mode de vie monastique et à la permanence de la prière.

Mais, même dans les années les plus militantes et qui ont été celles de son action en faveur des pauvres et des exclus, l’abbé Pierre n’a jamais abandonné la pratique de l’eucharistie quotidienne. Celle qu’il a poursuivie jusqu’au bout, dans son petit appartement de banlieue, là où le cardinal Barbarin était venu pour célébrer avec lui à un moment difficile pour lui.

On a beaucoup parlé de ses rapports avec les médias, soulignant à juste titre qu’il savait habilement s’en servir et qu’il n’était pas dupe des pièges de la machine à séduire qui aurait pu l’absorber dans sa logique réductrice. Ayant subi les dommages douloureux de la starisation dans les années 54-55, il était à même de creuser la distance et de s’opposer à une instrumentalisation excessive. C’est à sa lucidité spirituelle qu’il devait sa liberté. Une liberté qui, parfois, l’amenait à se conduire en franc-tireur dans sa propre Église. Ce n’est pas une nouveauté dans l’Histoire : en tous temps, il y a eu des prophètes capables de secouer l’indifférence, l’inertie de leurs contemporains. Certaines interpellations de l’Abbé touchaient incontestablement juste. D’autres étaient plus hasardeuses et même franchement incongrues, et ceux qui se faisaient un malin plaisir de les répercuter avouaient sans trop de précautions qu’ils étaient ravis de jouer l’Abbé Pierre contre une institution qu’ils détestent.

Quand le premier responsable de cette institution s’appelait Jean-Paul II, il y avait lieu de s’interroger avec quelque sérieux sur la contestation du prêtre français. Il lui est arrivé de reprendre des informations erronées et, plus gravement, de donner son appui à des offensives contre le Pape. Celui-ci tenait bon pour des causes dont la dimension anthropologique apparaît de plus en plus déterminante au fur et à mesure que l’ancienne société chrétienne apparaîtra déstabilisée.

Dire son désaccord quand il le fallait avec l’abbé Pierre, ce n’était pas le mépriser, bien au contraire. C’était prendre la défense du message évangélique, sachant que l’Abbé était le premier à vouloir en vivre, personne mieux que lui n’ayant pris autant de risques pour essayer d’aimer.

Gérard LECLERC